Van Gogh, sa période bleue exposée au musée d’Orsay

Certains arbres, juste avant de mourir, donnent une floraison exceptionnelle. A l’image de ces géants foudroyés auxquels il s’identifiait, Vincent Van Gogh réalise, durant les deux derniers mois de sa vie à Auvers-sur-Oise en 1890, un ensemble exubérant de 74 tableaux, dont de nombreux bouquets. Après le musée Van Gogh d’Amsterdam, Orsay en expose désormais les deux tiers et une trentaine de dessins. L’alliance de ces deux institutions phares a permis cette remarquable rencontre d’œuvres venues des quatre coins de l’Europe et des Etats-Unis.

Une teinte mélancolique
Le portrait de Docteur Gachet donne le ton dès le début du voyage. Placé à côté d’un Autoportrait de l’artiste, peint quelques mois plus tôt lors de sa dépression à l’asile de Saint-Rémy-de-Provence, ce médecin du village de l’Oise – également roux – apparaît comme son jumeau mélancolique. Il pose sa tête sur sa main, le regard dans le vide, devant ce même fond bleu assorti à leur humeur… Cette couleur dominera également cette dernière période de Van Gogh, contrastant avec les toiles ensoleillées d’Arles. Modulé du cobalt au turquoise en passant par l’outremer, il intensifie ses ciels franciliens, ombrage les façades, les toitures d’ardoises et les baies de L’église d’Auvers dont l’horloge a perdu ses aiguilles. Elle tire un rideau de nuit sur certains portraits, comme celui d’Adeline Ravoux, la fille de l’aubergiste chez qui séjournait le peintre.

Une houle qui berce l’horizon
Avant de se réfugier dans cette campagne, Van Gogh s’est arrêté à Paris pour voir son frère Théo. Il en profite pour visiter une exposition d’estampes japonaises. Teintés de bleu de Prusse, les paysages d’Hokusai et les monochromes d’Hiroshige l’ont-ils influencé ? C’est possible. Plusieurs de ses dessins d’Auvers, à l’huile et à l’aquarelle, jouent sur cette gamme restreinte. Comme animé par un sentiment d’urgence, l’artiste emprunte aussi ouvertement à l’« ukiyo-e » pour oser des peintures radicales, comme celle-ci. Branche d’acacia brossé dans une folle frénésie de touches ou comme ça Paysage d’Auvers sous la pluie, dont le paysage longitudinal est strié de rayures bleu roi.

Ces peintures panoramiques sont la révélation de l’exposition. Au cours du dernier mois de sa vie, Van Gogh expérimente avec passion ce format de 50 cm de haut sur 1 m de long, accrochant lui-même ces toiles car il ne les trouvait pas dans le commerce. Il en a peint plus d’une douzaine. A-t-il imaginé les assembler en frise ? En tout cas, il rêvait d’un projet d’exposition. Souvent vides de personnages, contrairement à ses premières vues d’Auvers, ces paysages à la fois grands ouverts et comme enfermés en hauteur, combinent un « aspiration à l’infini » et, paradoxalement, un « une anxiété qui se resserre », note Emmanuel Coquery, directeur adjoint de la conservation au musée d’Orsay (1). Dans certains tableaux, l’horizon monte parfois très haut, puis descend très bas dans d’autres, comme sur une mer agitée. “Ce sont d’immenses étendues de blé sous des ciels troubles, et je n’ai pas hésité à tenter d’exprimer une tristesse, une extrême solitude”, » écrit l’artiste le 10 juillet 1890.

Compositions comme sculptées en bas-relief
Son toucher apparaît plus libre que jamais. Sous la forme d’une pointe, d’un bâton, d’un fer à cheval, d’une ligne pointillée, inclinée à gauche ou à droite, elle participe activement au dessin des motifs. Dans un espace de médiation, une étonnante reproduction 3D blanche de l’église d’Auvers, réalisée par l’éditeur Lito, le prouve : sculpté en très léger relief par l’artiste, le monument reste parfaitement lisible, malgré l’absence totale de couleurs !

Les commissaires français et néerlandais de l’exposition ont patiemment reconstitué la chronologie de cette production auversienne, en parcourant la correspondance de Van Gogh et en analysant la nature de ses peintures, dont quatre torchons empruntés à son aubergiste ! Longtemps considéré comme le tableau testamentaire de l’artiste, Le champ de maïs aux corbeaux se réduit ainsi à la date du 8 juillet, suivi en réalité d’une quinzaine d’autres tableaux. Conservé à Amsterdam, l’ultime les racines des arbres, achevé le 27 juillet, quelques heures avant que Van Gogh ne se tire une balle dans la poitrine, ne fasse le voyage à Orsay. Cette fois, le ciel s’est évanoui. De l’artiste, il ne reste que des branches bleues plongeant leurs grands bras dans le sol et qui touchent aussi nos cœurs.

Source: News.DayFR